Il est temps de repenser "C'est une vie merveilleuse" : un classique à revoir
Le film *C'est une vie merveilleuse* est considéré depuis longtemps comme un incontournable des fêtes de fin d’année. Réalisé par Frank Capra en 1946, ce classique de Noël raconte l'histoire d'altruisme communautaire en pleine crise économique, incarnée par le personnage de George Bailey. Chaque année, des millions de téléspectateurs se replongent dans ce film pour y puiser une réflexion sur l'esprit de Noël. Toutefois, vu sous l’angle de la théorie monétaire moderne (MMT), les messages véhiculés par le film révèlent des aspects beaucoup plus complexes et problématiques que ceux d'une simple fable de saison.
La théorie monétaire moderne insiste sur le fait que l'argent est un instrument public illimité, géré par la gouvernance centralisée, et que la production du secteur privé en dépend directement. En revanche, *C'est une vie merveilleuse* dépeint une réalité où l'État est presque absent de la sphère économique et où la survie financière dépend largement des dons privés et de la solidarité communautaire. Le film romantise une vision de l'économie qui repose sur ce que l'on pourrait appeler aujourd'hui le « financement participatif », une pratique qui, dans le film, semble suffire à résoudre les crises personnelles et sociales.
L'histoire de George Bailey se déroule dans le contexte d'une Amérique bouleversée par deux guerres mondiales et la Grande Dépression. Cependant, au lieu d’aborder les bouleversements économiques et politiques de l'époque, le film présente l'argent comme une entité privée, souvent inaccessible et aliénante. Ce modèle économique fictif, où l'argent ne circule qu’entre individus, fait de la solidarité locale le seul remède face à la pauvreté. Cette approche résonne étonnamment bien avec notre époque contemporaine, où de plus en plus de personnes se tournent vers des plateformes de financement participatif pour compenser les échecs du système néolibéral dans des secteurs essentiels comme les soins de santé, l'éducation, et les arts.
L'économie dysfonctionnelle décrite dans le film se manifeste à travers deux miracles qui structurent son récit. D'abord, un ange nommé Clarence est envoyé pour sauver George Bailey, qui, accablé par des dettes et au bord du suicide, songe à mettre fin à ses jours. Clarence lui montre une version alternative et cauchemardesque de Bedford Falls, la ville où il a grandi, pour lui prouver l'importance de son existence. Ce premier miracle laisse entendre que l'intervention divine ou étatique ne peut être qu’individuelle, morale, et existentielle, réduisant ainsi la vie collective à la somme des actions des individus. Comme dans bien des récits hollywoodiens, la solution proposée à un problème systémique est fondée sur l’héroïsme et les décisions personnelles.
Le second miracle se produit à la fin du film, lorsque les habitants de Bedford Falls se mobilisent pour réunir les fonds nécessaires afin de sauver George et son entreprise en difficulté, un bâtiment et une association de prêts. Cette levée de fonds communautaire permet non seulement à George de se relever, mais elle préserve aussi les maisons des habitants, qui dépendent de cette association pour leurs logements. Cette scène, qui se déroule la veille de Noël, glorifie l'entraide locale comme une solution magique à la faillite économique, renforçant l'idée que la survie économique dépend uniquement de la bonne volonté des citoyens.
En réalité, les décennies qui ont suivi la Grande Dépression ont été marquées par des investissements massifs de l'État américain dans l'économie, notamment grâce au New Deal et aux dépenses publiques colossales de la Seconde Guerre mondiale. La banlieue américaine des années 1950 et 1960 n'était pas le résultat d'un miracle communautaire, mais bien d'une gouvernance étatique forte et d'une planification économique délibérée. Pourtant, *C'est une vie merveilleuse* occulte ces faits historiques et représente l'argent comme un bien rare, monopolisé par un capitaliste sans scrupules, M. Potter, et réparé par l'action collective des habitants de la ville.
L'idée que la solidarité locale peut résoudre les crises systémiques reste séduisante, mais elle est illusoire. En magnifiant le financement participatif comme solution miracle aux dysfonctionnements économiques, le film fait écho à notre époque, où de nombreux citoyens comptent sur des campagnes de crowdfunding pour financer des soins médicaux, des projets artistiques, ou même des frais de subsistance de base. Cependant, cette approche individualisée ne fait qu'obscurcir les véritables causes des inégalités et des difficultés économiques.
Plutôt que d’organiser un boycott de *C'est une vie merveilleuse* cette saison, nous pourrions choisir de le regarder avec un regard critique. Le film reflète une vision erronée de l’économie, mais il peut aussi nous pousser à réfléchir sur la nécessité de repenser la manière dont nous abordons les crises économiques et sociales. Au lieu de compter sur des miracles individuels ou communautaires pour combler les lacunes laissées par un système défaillant, il est temps d’explorer les pouvoirs inexplorés de l’État et d'imaginer des solutions politiques collectives capables de répondre aux besoins de la société.
En conclusion, *C'est une vie merveilleuse* demeure un classique, mais ses leçons économiques sont dépassées. Alors, tout en profitant du charme indéniable du film, saisissons l'occasion pour repenser la manière dont nous abordons les crises contemporaines et construisons un futur où l'État et les politiques publiques jouent un rôle central dans la création d'une économie plus juste et équitable.